Préface de Francine PAULUS
Doyen de la Faculté de Pharmacie de Nancy
Le but de cet ouvrage est de brosser un tableau des activités des services de santé à Nancy pendant la plus atroce des guerres du XXème siècle. Tableau qui donne au lecteur une impression d'unité et de cohérence et qui souligne l'intérêt du rapprochement des différents métiers de l'Art de Guérir.
Dans son Éloge de Parmentier, illustre pharmacien militaire, Charles-Louis Cadet de Gassicourt a développé cette idée : « Soyons ou médecins, ou chirurgiens, ou pharmaciens, mais n'ayons pas l'orgueil de vouloir exercer les trois parties de l'art de guérir, ce serait nous condamner à une triple médiocrité. Si nous avons adopté la pharmacie, restons lui fidèle, ne rougissons pas de son nom, forçons même par des talents et des vertus nos collègues les médecins et les chirurgiens, à abjurer pour toujours la vaine et méprisable dispute des préséances, à reconnaître que la première place appartient au plus habile et qu'on ne doit traiter de subalterne que la sottise et l'ignorance. »
Les auteurs décrivent l'évolution des opinions et des mentalités des personnels du service de santé en Lorraine et plus particulièrement à Nancy.
En les nommant à leurs postes respectifs, les auteurs font revivre sous leur plume Meyer, Weiss, Spillmann, Favrel, Grélot, Bruntz, Cordebard et tous les professeurs, agrégés, enseignants, étudiants qui ont participé à l'effort de guerre en tant que belligérants, mobilisés, appelés ou bénévoles.
Ils nous montrent combien médecins et pharmaciens sont en relations constantes, complémentaires et synergiques, préoccupés par des problématiques d'hygiène, d'épidémiologie, de chirurgie et de toutes les pathologies spéciales induites par les faits de guerre.
Le lecteur s'apercevra que ce livre permet de mettre des mots aux maux et de comprendre le présent à la lumière des événements passés.
Les interrogations et les réflexions qui ont suivi les conflits de 1870 et ceux de la Grande Guerre ne se sont-elles pas encore posées lors de la récente création de l'Université de Lorraine, fruit du rapprochement de Nancy et de Metz ?
La bipolarisation Lorraine-Alsace déjà présente il y a un siècle n'est-elle pas toujours d'actualité à l'heure de la région « Grand Est » ?
La guerre de 14-18 signe la fin brutale de l'ancien modèle. Désormais, après les dures et atroces réalités vécues sur les différents théâtres d'opérations, se posent les défis de l'essor des technologies de santé et son lot d'innovations. Défi qui reste d'actualité et que j'invite chacune et chacun à relever dans son domaine d'activité.
Préface du Professeur Jacques ROLAND
Ancien Doyen de la Faculté de Médecine de Nancy
Au cœur des manifestations et des publications qui
commémorent la Grande Guerre, Pierre Labrude, Bernard
Legras, Laetizia Mezzaroba et Christophe Richard se sont penchés sur le rôle
des services de santé nancéiens, pendant ce cruel conflit. Leur ouvrage prend
une place particulière et originale dans le flot des témoignages, des bilans,
des enseignements qui traitent de ce conflit majeur et pour plusieurs
importantes raisons.
Place particulière d’abord parce que «l’action» se
passe à Nancy. Cette cité, ancienne capitale des ducs de la Lorraine régnants
sur un état indépendant, a un passé
brillant, mais l’annexion française au XVIIIe siècle la réduisit à une ville de
moyenne importance. C’est paradoxalement une défaite française, celle de 1870,
qui lui rendit une partie de sa grandeur ancienne. Elle était devenue un
avant-poste face à la nouvelle frontière avec l’Allemagne, située à une
trentaine de kilomètres. Il y eut donc militarisation, plusieurs régiments y
furent affectés. Mais surtout elle a bénéficié de l’arrivée de nombreux Alsaciens,
et pas n’importe lesquels : c’étaient ceux, patriotes français, et
industrieux qui avaient eu le courage de fuir l’occupation allemande. Parmi eux
il y avait de nombreux ouvriers, artisans, industriels, enseignants, artistes
qui apportèrent leur énergie et leur détermination. Tous ces facteurs
engendrèrent un essor industriel, intellectuel et artistique de la région de
Nancy. La fameuse école de Nancy et l’Art Nouveau en sont le reflet, toute
l’Europe en fut alors imprégnée jusqu’à la Russie.
Cet ouvrage a
aussi une place particulière du fait de ses acteurs, les professionnels de
santé, spécialement les médecins et les pharmaciens. Plus encore que le reste
de la population nancéienne, leur sociologie avait été bouleversée par les
conséquences de la guerre de 1870. C’est ainsi que la Faculté de médecine de
Strasbourg avait été transférée à Nancy, grâce à Adolphe Thiers, qui rendait
ainsi à la ville ducale une Faculté que la Révolution avait supprimée. Pour
bien faire comprendre l’état d’esprit des médecins strasbourgeois en 1870,
c’est 21 de leurs professeurs sur 22 qui avaient, en effet, décidé de quitter
l’Alsace pour ne pas devenir allemands. Ils avaient été accueillis avec l’appui
unanime des enseignants de l’École médicale de Nancy, école qui pourtant
disparaissait de ce fait. Ses enseignants devenaient intégrés à la nouvelle
faculté sous l’autorité du doyen Stolz ancien doyen
de Strasbourg. De la même façon s’était adjointe l’Ecole supérieure de Pharmacie
de Strasbourg qui s’individualisa en 1876. On conçoit l’état d’esprit qui
régnait dans les deux établissements avec des enseignants qui portaient encore
le deuil de la province perdue…
Nancy était
apparue aux Allemands comme une proie facile, quelques kilomètres à franchir…
et dès l’ouverture des hostilités, en présence du Kronprinz, ils déclenchèrent
une offensive pour la prendre. La bataille du Grand Couronné, conduite du côté
français par le général de Castelnau, permit de les repousser, malgré leur
supériorité numérique. Découragés, ils renoncèrent pendant toute la guerre à
réitérer une attaque dans cette zone. Mais Nancy est restée pendant la durée du
conflit très proche du front, devenant un avant-poste civil et militaire. Elle
se mit à la disposition d’une part de la population, restée là malgré
l’angoisse, les risques et les difficultés et d’autre part des soldats qui y
trouvaient des bases d’aviation, des établissements de repos, de soins, de
détente. Nancy partageait tout avec les combattants, le harcèlement des
bombardements, qu’ils soient le fait des bombardiers, des dirigeables ou des
canons lourds, et puis chaque jour la crainte d’une attaque surprise, d’une
percée de l’armée allemande. Cela dura jusqu’en 1918 qui paradoxalement fut
l’année des pires menaces. Celles-ci amenèrent à la fermeture des
établissements universitaires, dont seuls restèrent en place et en fonction les
acteurs de santé. Il faut mettre au crédit des auteurs la peinture de
l’ambiance de guerre, vécue par la trentaine de milliers de Nancéiens restés
dans leur foyer, ambiance parfaitement rendue dans la première partie de
l’ouvrage. Cela permet de saisir combien fut exemplaire le dévouement des
professionnels demeurés en poste.
L’ouvrage fait
ensuite une description minutieuse des établissements d’enseignement et de
soins, à l’orée de la guerre, qu’ils relèvent de la médecine ou de la
pharmacie. Et l’on comprend combien leur bonne organisation, leurs équipements
récents ont été précieux en ce début du conflit pour affronter les afflux de
blessés de la bataille du Grand Couronné, mais aussi leur insuffisance aux
pires moments devant le nombre des blessés, parfois amenés du champ de bataille
en charrettes à bras et qui étaient alignés pour un tri sur les pelouses de
l’Hôpital Central… L’horreur de la guerre était là, nécessitant le dévouement
permanent des individus et l’adaptation difficile des structures. Postes de
secours d’urgence, hôpitaux auxiliaires ou complémentaires se sont multipliés,
les hôpitaux civils ont consacré une part largement prédominante aux victimes
de guerre. Des associations ont pris une part importante dans les soins aux
blessés, avec parfois des zizanies qui n’ont d’égales que les dévouements de
chacune. Les congrégations religieuses n’étaient pas en reste. La triste
constatation que les conflits sont des sources de progrès techniques
indiscutables trouve une nouvelle preuve aussi à Nancy et dans la
médecine : la chirurgie de guerre, l’orthopédie, la lutte anti-infectieuse
font l’objet d’études et même de publications intéressantes. La radiologie
prend son essor. Dans ce domaine il est intéressant de citer l’exemple du professeur
Guilloz, pionnier à Nancy de la radiologie, dont les
talents de médecin et de physicien lui ont permis de mettre au point des
méthodes pour repérer et extraire des éclats d’obus, mais aussi, en patriote
qu’il était, d’inventer une méthode de repérage des avions pour aider à la
défense contre les bombardiers allemands… Il devait mourir avant la fin de la
guerre des effets des rayons X.
Les auteurs
démontrent aussi combien les effets du conflit pour la formation médicale ou
pharmaceutique sont dévastateurs. Les enseignants sont dispersés, les
professeurs titulaires sont restés en poste, mais les agrégés sont souvent
affectés à distance ce qui rejaillit sur les enseignements dirigés. Les
étudiants eux-mêmes sont mobilisés et servent comme infirmiers dans les unités
combattantes, mais leur nombre a beaucoup diminué. Une
sorte de Faculté militaire est même organisée à une quinzaine de kilomètres de Nancy,
mobilisant une partie des enseignants de Nancy, faculté où devraient se rendre
les étudiants mobilisés et les médecins affectés en corps de troupe pour leur
formation continue. Les activités strictes d’enseignement sont donc limitées
dans la Faculté, et c’est dans les hôpitaux que les enseignants continuent
efficacement à professer. Dans ce contexte on peut s’étonner de constater que
la Société de Médecine, société
savante datant de 1844, continue de façon très soutenue ses réunions, dont le
rythme est même doublé en 1915 ! C’est aussi dans la Faculté, pendant le
conflit, que l’on voit les débuts de la médecine aéronautique et de la médecine
sociale qui sont restées deux matières phares de l’établissement jusqu’à notre
époque.
Les pharmaciens
rencontrent les mêmes énormes difficultés que les médecins en ce qui concerne
l’enseignement et la mobilisation de leurs enseignants et de leurs étudiants.
Ils ajouteront à tout cela une catastrophe qui frappe leur école : les
effets d’un bombardement qui dévaste en 1918 leurs locaux. Ils joueront tout au
long du conflit un rôle important au sein des armées, tant dans les domaines de
l’hygiène, la bactériologie, la confection des matériels de pansement, la
détection et la protection contre les gaz. Ainsi dans un domaine plus discret
que celui des soignants, ils ont, aux côtés de leurs camarades médecins, exercé
un rôle indispensable et précieux au service des militaires et des civils.
Nous pouvons,
au nom de tous ceux qui sont issus de la Faculté de médecine de Nancy, de celle
de Strasbourg, de la Faculté de Pharmacie de Nancy, être reconnaissants aux
auteurs de ce livre. Reconnaissants de nous avoir rappelé non seulement le
sacrifice de la vie de beaucoup de nos anciens, mais aussi leur ténacité devant
les épreuves, et reconnaissants d’avoir fait ce rappel dans un ouvrage très
documenté, bien illustré, à l’écriture agréable. Ils ont fait revivre cette
période où l’héroïsme tranquille, quotidien, de chacun de ces étudiants, de ces
enseignants, de ces médecins, de ces pharmaciens, dans les privations, sous les
bombardements, a permis de donner à la population civile et aux soldats les
soins et la chaleur humaine dont ils avaient tant besoin.
La République a
compris cette vertu collective et la Faculté de Médecine est, à ce jour, la
seule Faculté citée à l’ordre de la Nation. La Légion d’honneur qu’elle ne
pouvait recevoir, n’ayant pas la personnalité morale, a été conférée à
l’Université de Nancy, et ce pour
reconnaître en fait les médecins et pharmaciens dont le mérite avait
porté si haut son prestige.