Préface du docteur Jacques Vadot
Mon ami Bernard Legras, Professeur honoraire de Santé publique de la Faculté de Médecine de Nancy, m'a confié la rédaction de ce texte. C'est à la fois un honneur et une grande responsabilité. Bien que mon cursus ne m'ait pas permis de faire partie des enseignants de notre Faculté, mon ancienneté, puisqu'ayant fait ma « 1ère année » en 1954, m'a donné l'occasion de connaitre directement ou par leur histoire un certain nombre d'auteurs de ces leçons inaugurales ou autres discours. Mon intérêt pour l'histoire de notre faculté a sans doute débuté lors de ma collaboration, au Laboratoire d'Anatomie, avec le professeur Antoine Beau , puis vers la fin de mon exercice professionnel par la création, en 1997, de notre « association », avec le Doyen Georges Grignon et mon ami Jean Floquet.
L'histoire de notre actuelle faculté, si elle a débuté après le « Transfèrement » de celle de Strasbourg en 1872, a permis à un certain nombre de grands noms d'assurer un enseignement au cours du 19ème siècle, dans différents établissements dont la « Maison hospitalière Saint-Charles », avant que ne soient créés des structures universitaires et des hôpitaux plus adaptés.
En 1874 Hippolyte Bernheim, jeune agrégé, rappelle dans sa « Leçon inaugurale», qu'il supplée le professeur Mathieu Hirtz, à la tête de la « Clinique médicale » et qui a dû arrêter son activité pour raison de santé. Tous deux sont venus de Strasbourg fin 1872, lors du « transfèrement » de sa faculté à Nancy. Bernheim s'essaie à définir les étapes du diagnostic médical. « Avant de raisonner, il faut observer … La maladie est une abstraction qui n'existe pas »… Il n'y a que des individus malades et des organismes souffrants … La médecine clinique n'est pas un art, mais une science. ». Le médecin est donc le « découvreur » des signes objectifs. Le malade décrit les signes subjectifs. L'ensemble permet de « formuler le diagnostic et le pronostic… La pharmacodynamie permet de traiter les symptômes de la maladie. »
C'est aussi à cette période que l'on rencontre Paul Spillmann, venu de Strasbourg en 1872, qui écrivait, en 1887, que « pour mériter le titre de médecin, il faut être un homme de sens, de cœur et de bien »… et « aimer la médecine avec passion ».
Paul Ancel, succédant au professeur Nicolas à la chaire d'anatomie, soulignait en 1908 que « Le médecin, ayant à soigner l'homme malade, doit connaître l'anatomie de l'homme ». Il insista sur l'importance de la « dissection des cadavres » pour parfaire sa formation.
Reprenant la tête du Laboratoire d'histologie du professeur Prenant, Pol Bouin faisait remarquer, en 1908, que l'histologie, longtemps considérée seulement comme une « anatomie plus fine », permettait de préciser « l'architecture intime des tissus et des organes…et fournir souvent l'explication des causes profondes des processus morbides. »
Joseph Schmitt prononce sa « Leçon inaugurale » en 1910. Il succède au professeur Bernheim, dans le souvenir de Victor Parisot. Titulaire d'une chaire de « Clinique médicale » il insiste sur la complémentarité de l'examen clinique méthodique et attentif au lit du malade et des investigations biologiques et/ou radiologiques. Il souligne aussi l'importance de l'enseignement de la thérapeutique parfois trop délaissé.
Léon Hoche en 1911 rappelle la solennité « des cours magistraux » longtemps faits en « robe » puis en « costume noir ». La « leçon inaugurale » oblige l'enseignant à « concentrer ses idées … dans une véritable profession de foi ». L'anatomo-pathologie qu'il enseigne est née à Padoue, en Italie, avec Morgagni , puis s'est développée en Europe et dans le monde entier. Elle repose sur « l'étude attentive des lésions » nécessitant une « expérience anatomo-pathologique suffisante ». Cette étape, qui complète la « clinique », permet « d'établir un traitement … et formuler un pronostic ».
J'ai eu la chance de rencontrer Remy Collin (1880-1957), au début de mes études médicales, à l'occasion d'une conférence qu'il donnait au « Groupement des Etudiants Catholiques » (G.E.C.). Homme de culture et de croyance, il m'impressionna beaucoup. Succédant aux professeurs Prenant, Bouin et Ancel, il soulignait l'importance de l'histologie qui n'était pas une « science accessoire … mais fondamentale ». Cette « science des tissus » est un complément indispensable de la clinique.
En 1922, Gaston Michel, au cours de sa « leçon inaugurale sur la chirurgie en Lorraine » remercie tous ceux qui ont développé la chirurgie, dont son « Maitre » le professeur Nicolas. Il reprend l'histoire de la Faculté de Médecine de Pont-à-Mousson, soulignant que l'enseignement de la chirurgie fut longtemps sommaire, jusqu'à l'ouverture en 1873 de « l'hôpital Saint-Léon » et avant son développement dans les nouvelles structures hospitalières érigées après 1872.
Marcel Dufour, en 1924, s'intéresse au développement de l'enseignement de la physique dans les facultés de médecine, soulignant l'importance de la découverte des « rayons X » et le rôle primordial de Théodore Guilloz dans son développement en Lorraine. Cette science nécessite aussi une complète connaissance des mathématiques. Il insiste aussi sur le fait que « l'examen (de fin d'année) ne doit être que la sanction du travail de l'étudiant pendant l'année . »
Paulin de Lavergne, en 1931, rappelle qu'après une première année d'études à Poitiers, il rejoint l'Ecole de Santé militaire de Lyon, puis fait un stage au « Val de Grâce », interrompu par la « grande guerre » où il servira comme « brancardier »avant d'obtenir en 1919 un poste d'« agrégé ». Sous le décanat de Paul Spillmann il développe à Nancy la bactériologie, soulignant le soutien qu'il reçut du Professeur Jacques Parisot.
Au cours de sa « leçon inaugurale » en 1938, le professeur Jules Watrin, titulaire de la chaire de dermatologie insiste sur la nécessaire complémentarité entre la clinique et l'anatomo-pathologie.
L'année 1962 sera riche de trois « Leçons inaugurales ».
Le professeur Maurice Gosserez décrit le développement de la « clinique stomatologique » avec ses collègues et amis les professeurs Cordier et Houpert. Ce dernier deviendra Directeur de l'Institut dentaire, aidé par son collaborateur André Huguin. L'ORL évoluera sous la conduite du professeur René Grimaud que j'ai eu le plaisir de bien connaitre. Le professeur Gosserez se consacrera alors à la « chirurgie plastique et reconstructive » créant une « école » qui forma de nombreux élèves. C'était un personnage intimidant. J'ai pu l'approcher à plusieurs reprises car il faisait partie de mon « jury de thèse » (1963), présidée par le professeur Antoine Beau, avec aussi Jean Beurey mon « patron » en Dermatologie et le professeur Nathan Neimann dont j'ai toujours apprécié les connaissances et l'affabilité.
Le professeur Jean Lochard souligne l'importance de la « pathologie chirurgicale ». Encore « assistant » il nous faisait des cours de séméiologie chirurgicale en 2ème année et je pris la liberté de l'aborder car il avait passé son internat avec un de mes « grands cousins » installé à Paris. Elève du professeur Chalnot, Jean Lochard développera la chirurgie thoracique. C'était aussi un grand sportif (tennis, montagne). Il m'impressionnait par ses connaissances et sa cordialité. Nous nous sommes revus en fin de 6ème année, lors de mon examen de « clinique chirurgicale ».
Le professeur Paul Sadoul portait un intérêt particulier à la physiopathologie respiratoire » qu'il développa considérablement dans les locaux de l'Hôpital Maringer, malgré leur vétusté. Cette proximité avec l'Hôpital Fournier où je fus longtemps un collaborateur du professeur Jean Beurey, me permit de le rencontrer souvent dans un contexte amical et respectueux, qui se poursuivit au-delà de sa retraite.
En 1977, Marcel Ribon rappelle qu'en 1872, à la suite du « Transfèrement de la Faculté de Médecine et Pharmacie de Strasbourg à Nancy » le premier doyen fut le Professeur Frédéric Gross venu d'Alsace qui s'intéressa à la « pathologie gynécologique ».
De nombreux praticiens développeront cette science, dont Albert Fruhinsholz et son successeur, le professeur Henri Vermelin. J'ai eu la chance d'assister à des « cliniques » de ce « maitre » dont Marcel Ribon dit qu'il « cachait, derrière un aspect sévère, une nature bienveillante et de bon sens. » On retrouve après lui les noms de Jean Hartemann puis de Jean Richon (un ami de ma famille). Tous, avec Marcel Ribon, insistent sur « l'intimité des liens qui unissent l'obstétrique et la gynécologie » longtemps séparées. Marcel Ribon souligne « le rôle progressif et important des sages-femmes ». Il insiste sur la nécessité d'un enseignement de la « biologie génitale », complété par l'éducation et l'information sur « prévention, dépistage, surveillance ».
D'autres enseignants ont par des discours originaux pu transmettre leurs réflexions sur la Médecine et son enseignement.
Hippolyte Bernheim, qui succéda très jeune à son « maitre » le professeur Matthieu Hirtz, resta à la tête de la « Clinique médicale » jusqu'à sa retraite. Dans son discours de jubilé en 1911, il remercie ses élèves de leur cadeau, œuvre de son ami Victor Prouvé. Il dit combien ses « maitres » lui ont « infusé le sens clinique »… « La clinique a été la passion de ma vie de professeur ». Il insistera aussi sur «l'asepsie chirurgicale », l'importance de « la contagiosité de la tuberculose » et le « rôle des bactéries dans les maladies infectieuses ». Il souligne aussi le « rôle de l'hypnotisme » prônée par Liébault, à Nancy. Cette forme de suggestion débouche sur la « psychothérapie ». Toutes ces approches ont été en contradiction avec les théories des médecins de l'Hôpital de la Salpétrière à Paris.
Le 2 mars 1957, un nouvel amphithéâtre de la Faculté de Médecine fut inauguré rue Lionnois.
Il portera le nom de « Jacques Parisot ». Jeune étudiant en médecine, j'eus la chance d'assister à cette cérémonie qui m'impressionna énormément par sa solennité. Cette inauguration fut présidée par Albert Sarraut, Président de l'Union française. Après le discours du Doyen Simonin, le Directeur général de la Santé, le Docteur Aujaleu, rend hommage « à l'hygiéniste, à l'administrateur et à l'homme d'action » que fut Jacques Parisot.
En réponse celui-ci évoque « l'importance de l'Hygiène et de la Médecine sociale » (qu'il ne faut pas confondre avec la médecine socialisée). Il insiste aussi sur le rôle de « la prévention » dans l'enseignement de la médecine qui doit jouer un rôle important « dans le domaine de l'économie sanitaire ».
André Bodart fit, en 1959, un « Discours de réception à l'Académie de Stanislas » intitulé
« La désacralisation de la médecine » . Constatant que médecins, ecclésiastiques, militaires et notables avaient perdu leur « aura » , il écrivait que « Jamais l'homme n'avait comme aujourd'hui éprouvé un tel bouleversement de ses valeurs intellectuelles et morales ».
Qu'en dire à notre époque…
J'ai peu rencontré le professeur Bodart (Chirugie B), sauf lors d'un stage d'externe au service de médecine B du Professeur Drouet, où son jeune collaborateur, le futur professeur Daniel Anthoine, m'impressionna par son sens clinique et la clarté de ses exposés. Le professeur Bodart m'a laissé le souvenir d'un homme réservé. J'avais connu son « prédécesseur » le professeur René Rousseaux, le pionnier de la neuro-chirurgie à Nancy, ami de notre pédiatre le Docteur François Haushalter. R. Rousseaux m'opéra d'une appendicite aigue en 1951. J'étais très anxieux et sa gentillesse m'apaisa.
En 1997 dans son discours du jubilé, Alain Larcan, ce grand « gaulliste », et le contemporain de beaucoup, a plaisir à rappeler son Service militaire à l'Hôpital Legouest à Metz, avec Claude Huriet (ami de toujours) et Jean-Marie Gilgenkrantz (qui me prépara à l'externat). Tous trois seront plus tard à la tête d'un « service ». Alain Larcan souligne que « la création d'un service de réanimation et d'une chaire de pathologie générale et de réanimation fut de conquête difficile » car nécessitant « l'avis du comité consultatif en session plénière ». Il insiste aussi sur sa « passion de l'enseignement … » cherchant à le rendre « précis, documenté, vivant et renouvelé. »
En guise de conclusion…
La rédaction de ce texte est sans doute parfois un peu trop « personnelle », mais elle veut simplement redire la chance que j'ai eue de pouvoir rencontrer tant de gens extraordinaires. C'est une expérience unique que j'ai voulu partager.
A travers ce panorama on constate chez tous de profondes qualités médicales et humaines, et surtout « humanistes », reflétant une époque, aujourd'hui peut-être révolue, attachée au fait que « l'humain doit être soigné dans sa globalité ».