` sommaire

Préface de Didier Melliere   

Pourquoi ?

Pourquoi nos sens sont-ils souvent éblouis et notre intelligence interrogée par une œuvre d'art ? Pourquoi les plus anciennes peintures figuratives ne sont-elles apparues qu'avec les Homo Sapiens, il y a 50 000 ans (Indonésie et Europe occidentale) ? Nos ancêtres voulurent-ils créer du beau ou seulement reproduire leur environnement ? Ou eurent-ils envie de communiquer avec l'invisible ? Cette hypothèse devient certitude avec les premières grandes civilisations (Sumer, Egypte, Chine, Grèce). Les chrétiens en furent les héritiers. D'emblée, ils centrèrent leurs créations sur Dieu et les Évangiles. Leurs plus anciens dessins connus, ceux de la minuscule salle de prière de Doura Europos (ville détruite en 256) représentant le bon Berger, le paralytique guéri emportant son grabat et le Christ retenant Pierre se noyant, ne laissent personne insensible. Durant les quatorze premiers siècles chrétiens, icônes et statues ont été animées par une triple impulsion : glorifier Dieu, témoigner d'une foi, enseigner les Evangiles. Si lors de la Renaissance, beaucoup d'artistes ont délaissé le divin pour se centrer sur l'homme et les réalités matérielles, certains, et non les moindres, ont poursuivi l'objectif premier, Dieu.

Que nous apporte la contemplation d'œuvres d'art illustrant les scènes évangéliques ? Au moins deux apports essentiels : En premier, l'émotion provoquée est un des chemins de découverte de Dieu. La rencontre avec l'expression d'un artiste fait donc partie de ces multiples chemins qui peuvent mener vers Lui : rencontre d'une personne qui vit sa foi, éducation familiale et scolaire, contemplation de la nature et de ses lois, réflexion scientifique, appel devant les souffrances, simple soif de transcendance…

Le second apport est de contribuer à la connaissance de Dieu. S'Il s'est fait homme, Il n'est pas seulement une idée intellectuelle ou un produit de l'imagination, mais une personne qui a vécu sur terre à un moment donné et a eu une trajectoire invraisemblable, allant jusqu'à offrir sa vie pour racheter les innombrables errances humaines et nous ouvrir la porte d'une vie intemporelle dans son Amour. Cette personne n'est-il pas indispensable de la connaître ? Celui qui prie le Christ, ne s'arrête ni à l'architecte suprême de Voltaire, ni à la multitude des dieux que se sont fabriqués les hommes depuis les origines, ni même aux conceptions « distantes » de Moïse ou de Mahomet.

Alors, comment progresser dans la connaissance du Christ ? Le moyen le plus sûr est de travailler les Évangiles, lentement, en s'arrêtant à chaque mot, attentivement, en y revenant, en les dégustant, en les labourant, en s'étonnant, chemin dont témoignent les si nombreuses représentations de saints (modèles de vie) tenant un livre.

Un moyen complémentaire est de contempler les perceptions qu'ont en eue des artistes. Chacun a transmis sa vision personnelle, petite parcelle de l'invisible, certes réductrice, mais riche d'un regard différent. J'aime les œuvres qui proposent un message fondamental particulier. Tous les intermédiaires existent entre la naïve illustration d'un passage de la vie du Christ, le témoignage d'une émotion et les synthèses théologiques complexes des différentes époques. L'œuvre d'art invite à creuser le texte autant que celui-ci nous invite à l'incarner dans notre vie quotidienne.

Il faut donc remercier Bernard Legras de faire dialoguer les Evangiles et le kaléidoscope des représentations occidentales. Reste au spectateur à faire ce travail de découverte, lent et attentif, en s'arrêtant à chaque détail, en se laissant envahir par chaque émotion. Car, comme le texte, l'œuvre d'art ne se laisse appréhender que si nous lui consacrons un peu de temps et d'effort.

L'exploration du texte, pour un chrétien, peut être abordée de quatre manières : la simple curiosité anecdotique, la recherche de ce que l'auteur a voulu transmettre précisément (recherche à laquelle nous invite François dans Evangelii Gaudium ), l'interprétation qu'en ont faite les Pères apostoliques et les Pères de l'Eglise, et la simple méditation sur ce que nous disent les textes actuellement sans tenir compte de l'intention de leurs auteurs. J'ajoute personnellement une cinquième manière, la question du « pourquoi ». Pourquoi cet épisode a-t-il été choisi parmi tant d'autres, car comme l'écrivit Saint Jean, « Jésus a fait sous les yeux de ses disciples encore beaucoup d'autres signes qui ne sont pas écrits dans ce livre » ? Pourquoi a-t-il choisi ce fait précis ou cet enseignement précis ?

La lecture de l'œuvre d'art passe par les mêmes interrogations. Pourquoi l'artiste a-t-il choisi d'illustrer ce passage et pourquoi de cette manière ? Il nous faut tantôt nous laisser pénétrer par l'émotion que l'artiste a voulu partager, tantôt scruter la multitude des détails qui ont tous une signification, détails qui souvent nous échappent car nous n'avons plus le langage ni la connaissance du contexte de sa rédaction.

Bernard Legras a choisi les illustrations avec sa double expérience de médecin et de scientifique/statisticien/informaticien, alliant l'observation du détail (pas de bon traitement sans une « observation » précise pour arriver au diagnostic qui préside à son choix) et la rigueur de ceux qui manient les chiffres (on peut contredire une opinion mais pas le résultat d'un calcul).

Puissions-nous dépasser le regard superficiel qui ne conduit qu'à une lecture primaire, entrer dans cette démarche des « pourquoi », et nous étonner devant leurs richesses et leur actualité. Alors, textes, tableaux, sculptures et chefs-d'œuvre architecturaux, faisant danser le ballet de nos sens et de nos réflexions, entreront en résonance avec nos aspirations les plus intimes.

---------------------------------------------

Didier Mellière  est parisien, professeur de médecine, spécialiste en chirurgie vasculaire (hôpital Mondor) ; il a fondé le collège de chirurgie vasculaire . En 2006, après son départ à la retraite, il met ses compétences au service de l'Eglise catholique. Il créé en France et en Belgique un réseau d'ateliers d'entrainement à la communication orale pour les prédicateurs et orateurs catholiques. Il a écrit plusieurs ouvrages, notamment en 2021 «  Tous ces Catholiques qui ont déserté l'Eglise, comment leur donner envie de revenir  ?, Harmatan).